Vincent 1/3

J'ai voulu l'écrire parce que je ne peux pas en parler. Ou alors je ne saurais pas à qui en parler. Ni peut-être comment.

Il y a bientôt dix ans, mon voisin et ami Vincent est sorti de chez lui, est allé à l'Institut du Monde Arabe, est monté sur la terrasse tout en haut, et s'est jeté dans le vide. 

Je pense extrèmement souvent à lui. La majorité du temps avec tendresse et tristesse, comme un sentiment devenu presque doux avec les années. Mais il y a quelques fois où ce sont la douleur et la culpabilité qui prennent le dessus. 

C'est comme ça en ce moment. Ça m'étouffe quand j'y pense. J'en viens même à me demander comment depuis dix ans j'ai pu échapper à une punition divine tant je me sens coupable. Je revois cette journée, le moment où nous nous sommes croisés dans l'escalier. Je ne l'avais pas vu depuis quelques temps (et pour cause, il avait été hospitalisé) et je lui ai demandé comment il allait. Enfin je ne lui ai pas vraiment demandé pour être honnête, j'ai posé la question bateau que tout le monde pose à quelqu'un qu'il connaît et qu'il croise. Il m'a répondu que ça n'allait pas fort. Ça se voyait d'ailleurs, il était pâle, amaigri, l'ombre de lui même. Et au lieu d'écouter cette réponse, de prendre acte, de parler avec lui, de ressortir faire un tour à pied pour l'accompagner, je suis restée dans ma trajectoire égoïste de fille égocentrée parce que je venais de passer un entretien d'embauche qui s'était très bien passé, et qu'à côté de ça j'étais au bord de la rupture avec mon copain. C'est pour ces deux raisons, ajoutées à mon égoïsme naturel, que je n'ai pas réagi. Je suis montée chez moi et j'ai oublié en quelques étages cette interraction et cette réponse pourtant très inquiétante. Et lui il est parti et il est allé se jeter de la terrasse de l'IMA. Il était tellement malheureux au moment où je l'ai croisé qu'il n'a pas hésité à aller se fracasser au sol depuis le toit d'un immeuble. Et ça m'est passé à côté.

Je ne peux plus respirer lorsque j'y pense.